Monsieur le Ministre de l’Economie, cher Emmanuel Quelles sont vos options ?
Le socialisme, c’est l’alliance du mouvement et de l’espérance, à l’œuvre au cœur du réel, pour le transformer, l’émanciper de ses rentes déterministes, l’assainir pour qu’il se réinvente et féconde l’avenir. Voilà, me semble-t-il, ce qui unit les socialistes, ceux de la soute et ceux du pont supérieur.
Pour un financier, l’espérance est une variable aléatoire qui modélise un phénomène pour décrire son évolution probable ; le mouvement, forcément brownien, un cas d’espèce particulier de martingale ; la rente constitue le stade le plus élevé de la « vie éthique » et l’assainissement, une punition infligée sans discernement à nous tous (« vrais gens » compris) qui « vivons depuis trop longtemps au dessus de nos moyens » selon la formule culpabilisante et scandaleusement totalisante, utilisée à deux reprises par le Premier Ministre lors de son passage sur France 2 au soir du remaniement.
Monsieur le Ministre, cher Emmanuel ; ne vous méprenez pas ! Cet échange est une démarche de conviction. Je ne suis pas dupe de ceux qui, d’ores et déjà, ont instrumentalisé votre arrivée dans ce Ministère, pour mieux servir leurs intérêts personnels et partisans. Et j’ai une sainte horreur de ceux qui pratiquent l’enfermement d’une trajectoire singulière dans la prison des déterminants familiaux ou sociaux. Je n’ai ni tabous, ni vaches sacrées ! Ainsi, je plébiscite la réforme territoriale de même que je partage votre analyse sur la nécessaire ré interrogation des statuts intangibles, lorsque ceux-ci deviennent précisément des rentes à exclure de l’emploi celles et ceux qui en sont le plus éloignés. Je pense notamment à la fonction publique territoriale, que je pratique assidûment. En revanche, je suis complètement opposé à la remise en cause de la notion de partage du travail (qui ne saurait se réduire aux dispositions légales et conventionnelles d’application des 35 heures). Monsieur le Ministre du Numérique, vous le savez, la « robotlution » qui va déferler sur notre appareil productif et dans nombre de nos services d’ici 15 à 20 ans va rendre l’emploi encore plus rare, et cela dans des proportions considérables, ce qui va achever de retirer à celui-ci son rôle d’intégrateur social exclusif et nous obliger à inventer de nouveaux statuts sociaux hors emploi. Et les territoires seront en première ligne pour affronter cet immense défi ; qui d’ailleurs devrait occuper toute l’énergie d’un Ministre du Travail, de l’Emploi et du Dialogue Social digne de cette fonction !
J’ai la conviction que le partage du travail fera partie de la boîte à outils.
Donc, point de procès d’intention ! Et l’urgente nécessité d’agir, chacun là où nous sommes en capacité de le faire.
Pour affronter ces « monstres », la gauche qui gouverne saura-t-elle trouver sa martingale du succès, à l’image d’un MEDEF qui a son MEDAF bien chevillé au corps doctrinal ? Et puisque nécessité il y a de faire appel en ce domaine à ceux qui présentent l’avantage « d’avoir croisé la réalité de la vie économique contemporaine » (E. Macron – Le Point – Août 2014), je m’adresse de ce fait au premier responsable de notre économie nationale, dans sa langue fonctionnelle – le grec des finances – avec l’espoir que ce mélomane accompli prenne une pause pour écouter ma petite musique, fusse-t-elle quelque peu désenchantée !
1 - Un peu de calcul actuariel pour commencer, afin de déterminer la VAN de l’investissement militant, conçu comme la capitalisation de l’énergie des militants et des élus locaux (là où ces derniers ne sont pas encore devenus ces barons féodaux champions de tous les conservatismes et de tous les blocages, premiers et principaux responsables de notre désintégration collective). Les flux nets annuels sont représentés par la fuite des effectifs par renoncement, éparpillement et non renouvellement générationnel. L’indice d’actualisation est estimé à 0,77 compte tenu des défaites électorales à venir. Soit un investissement militant 2012 à 234000 ; des flux nets estimés à -13000 en 2013 ; -45000 en 2014 ; -28500 en 2015 et – 20000 en 2016. La somme de ces flux nets actualisés s’élève à 212102. Ce qui porte la VAN au 31/12/2016 à 21898 militants actuels (un peu plus que le MODEM).La VAN reste certes positive mais quid, dans ces conditions, de la conquête de l’Elysée en 2017, tout candidat « étant égal par ailleurs », avec une gauche décimée dans les territoires et quid de l’exercice du pouvoir dans les 20 années qui suivront ?
2 - Où en est l’espérance de réussite de la politique de l’exécutif ?
Quatre scénarios identifiés par le consensus des experts.
Scénario A : le CICE et le Pacte restaurent les taux de marge des entreprises. Celles-ci investissent, innovent, montent en gamme. Les produits chers qui se vendaient mal deviennent compétitifs. Les entreprises embauchent, le chômage recule, le pouvoir d’achat des ménages et le commerce extérieur retrouvent des couleurs, l’étau des finances publiques se desserre. La confiance revient, et avec elle un cycle vertueux. PIB : + 3 points
Scénario B : la France poursuit sa politique d’ajustement budgétaire et structurel. L’Europe parvient à engager une politique de croissance à l’échelle du continent, faite d’investissements publics colossaux et d’une Allemagne plus partageuse dans la production des excédents. La politique accommodante de la BCE persiste et favorise le développement de l’économie réelle (créateurs, TPE, PME, start-up), la demande des ménages et des entreprises se nourrit de ces bonnes nouvelles extérieures dans un contexte intérieur qui reste morose. PIB : + 1,5 point.
Scénario C : le diagnostic n’était pas le bon. Le problème central est celui de la demande et non celui du coût du travail trop élevé. Les capacités de production des entreprises restent sous-utilisées et les milliards d’euros publics déversés n’engendrent ni investissement, ni recrutement. La déflation s’installe durablement et la dette publique poursuit son accroissement en dépit des politiques restrictives. La situation sociale devient explosive. PIB : - 3 points.
Scénario D : la régulation financière est inopérante, les énormes quantités de liquidité injectées dans l’économie ne trouvent pas de débouchés et créent de nouvelles bulles financières. L’exubérance irrationnelle des marchés repart de plus belle, engendrant des mouvements erratiques des taux. Une nouvelle crise systémique éclate, cette fois-ci sans le filet contra-cyclique des Etats, désargentés depuis la crise des dettes souveraines. Le monde est au bord du gouffre. PIB : - 5 points.
La distribution des probabilités de chaque scénario est la suivante : 30 % pour A, 20 % pour B, 40 % pour C, 10 % pour D. Sur cette base, la variable aléatoire PIB s’affiche à -0,5 point sur la période 2012/2016. L’espérance d’un gain de croissance est donc négative. L’écart-type, égal à 3, témoigne de la dispersion de chaque scénario et mesure la volatilité ou encore le risque. Si l’on intègre les éléments d’une politique de relance par la demande (interne et/ou européenne), on crée alors une nouvelle variable aléatoire (+ 1 % supplémentaire de PIB par an) qui fait passer l’espérance d’un gain de croissance à +0,5 en fin de période, et cela , et c’est ce qui compte, à écart-type identique. Ce qui signifie que le risque reste le même. Pourquoi hésiter alors à se lancer dans ce policy-mix offre/demande à risque constant? Les probabilités plaident en ce sens.
3 – Voyons ce que dit la théorie des options. Un entrepreneur souhaite investir. Il est revenu confiant à l’issue de l’université d’été du MEDEF et, bien décidé à surmonter son aversion au risque, il décide courageusement d’acquérir une option d’achat, un call à l’américaine. Ce qui lui fournira une stratégie flexible face au rythme effectif des changements structurels. Le sous-jacent de son call est le taux de croissance du PIB. L’action PIB France vaut aujourd’hui (mi 2014) 0,5 point. Il paie une prime de 100 KE pour son call. Fin 2016 : a) la croissance est toujours à 0,5 point. L’option s’éteint, l’entrepreneur n’agit pas, il perd 100 KE. b) la croissance est en chute, l’entrepreneur part investir à l’étranger, il perd 100 K .c) la croissance est de 4 points, l’entrepreneur exerce son call, retrouve sa capacité d’investir valorisé par la hausse du sous-jacent amputé de sa prime de 100 KE. Le « made in France » triomphe. Dans la mesure où la politique de l’offre produira ses effets en fin de période ( « à moyen terme » F.Hollande) alors que les effets de la relance sont rapidement perceptibles, et l’investisseur possédant un call levable à tout moment, il sera alors incité à valoriser son sous-jacent PIB France par anticipation, en toute flexibilité. Soit une accélération des résultats attendus et un contrôle du risque par diversification.
Vous le constatez comme moi, Monsieur le Ministre, cher Emmanuel, la théorie des options vient confirmer l’analyse probabiliste ainsi que ceux qui plaident en faveur d’un correctif aux politiques mal calibrées de restriction budgétaire tout en maintenant des engagements fermes sur les réformes structurelles.
Je serai heureux à l’idée, Monsieur le Ministre, cher Emmanuel, que cette démonstration en forme de clin d’œil, sans prétention aucune et qui m’apparait également relever du seul bon sens, vous incite, dans l’exercice de votre haute et périlleuse responsabilité, à ne point oublier les autres entrepreneurs du réel que sont les militants et élus de la base, cette partie inférieure sur laquelle tout solide ( et toute élection… et toute responsabilité gouvernementale) repose, et pour laquelle il serait convenable de lui trouver sa juste place.
Sinon, que resterait-il de notre idéal ? Rien … si ce n’est la magnifique contemplation du monde, dont nous nous privons trop souvent les uns et les autres.
Respectueusement.
Jean-François Dardenne
Maire de Nogent-sur-Oise
Conseiller régional de Picardie